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13 avril 2010

La source cachée de Hella S.Haasse

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Quatrième de couverture

Au cœur des bois, cernée d’un rempart de végétation luxuriante, se tapit la maison Breskel. A la faveur d’une période de convalescence, Jurgen arrive dans cette ancienne propriété des grands-parents maternels de sa femme, Rina, pour vider la bâtisse inhabitée depuis des années avant de la vendre. Ensorcelé par l’atmosphère exceptionnelle des lieux, intrigué par l’histoire de cette famille qu’il connaît si peu, il se met à creuser dans le passé de ceux qui ont vécu là. Un passé d’où émerge Eline, la mère de Rina, morte des années auparavant dans des circonstances mystérieuses, un caractère passionné et romantique épris de liberté avec lequel il sent peu à peu s’établir une étrange communion.

Avec une grande finesse psychologique et une sensibilité pleine de malice, Hella S. Haasse ouvre les portes de son univers très féminin à un homme qui se cherche, s’invente, se découvre et finalement se révèle, dans une maison hantée d’intuitions et de souvenirs, par la grâce magique d’une métaphore mythologique

Mon avis et extraits

Ouvrir ce livre c’est  pénétrer le monde d’Hella.S Haasse avec toute la grâce et la splendeur de son écriture, nous étonnant de page en page par des descriptions si ciselées, si réalistes que le décor nous happe et nous engloutit, nous fondant dans le roman … faites donc quelques pas en sa compagnie et voyez comme le charme soudain agit :

La maison est cachée dans la lumière incertaine des bois, comme un coquillage au fond de l’océan. Entre les murs flotte un bruissement de vent dans la cime des arbres, de gouttes de pluie sur le sable, de fuites invisibles d’animaux à travers les fourrés. La maison est séparée du bois de trois côtés par un fossé profond, couvert de lentilles d’eau ;un pont mène à la cour intérieure, pavée de pierres plates, grises, entre lesquelles pousse l’herbe. Les fenêtres, qui emprisonnent le reflet des arbres, semblent aussi vertes qu’eux. Le lierre s’accroche au mur et au toit, et la balustrade de la terrasse est envahie par une prolifération de roses. Derrière la maison s’étend une combe avec ses ondulations de terrains herbus, un vallon plein de bouleaux — je présume que des violettes y poussent encore en automne —, à part cela, seulement la forêt, rien que la forêt ombreuse et verte. J’étais debout entre les troncs, parmi les fougères et les halliers qui m’arrivaient aux genoux et je me croyais au fond de la mer. Chose curieuse, il y a peu d’oiseaux. J’ai écouté intensément mais je n’ai rien entendu d’autre que le frémissement des feuilles dans le vent et les battements de mon cœur.

Comprenez que la lecture de ce livre nous laisse dans un vague sentiment de conte fantastique tant les lieux sont étranges et envoûtants, tout autant que les personnages qui comme sur un échiquier glissent vers un but incertain, se heurtant sur un passé obscur, bataillant contre une vérité cachée, tentant de démasquer l’invisible rebelle d’un trouble qui s’immisce au fil de l’histoire, par dessus votre épaule vous sentez le souffle du mystère et le frisson bientôt vous surprend.

Par instants, j’avais l’impression de rêver, l’un de ces rêves remplis d’une magie lointaine à demi oubliée, et qui me donnent la sensation d’avoir déjà tout vécu antérieurement. C’est ce que je ressentis ici aussi, lorsque, me retournant sur la terrasse, je contemplai le jardin et la sylve devant moi, dans l’éclat intense de cet après-midi d’été : le vent s’était couché, toutes les couleurs semblaient gorgées de lumière et plus profondes qu’ailleurs, les roses et l’herbe dégageaient une odeur douceâtre qui montait à la tête. Les lions de pierre des deux derniers piliers en forme de vase de la balustrade posaient sur moi un regard ironique par-dessus les écus armoriaux détériorés qu’ils enserraient entre leurs griffes ; nulle part le moindre bruit, et partout la sensation d’être observé par quelque chose d’invisible — comment puis-je te faire comprendre ce que je ressens ? Car — même si tu hausses sans doute les épaules en lisant. La maison est cachée dans la lumière incertaine des bois, comme un coquillage au fond de l’océan. Entre les murs flotte un bruissement de vent dans la cime des arbres, de gouttes de pluie sur le sable, de fuites invisibles d’animaux à travers les fourrés. La maison est séparée du bois de trois côtés par un fossé profond, couvert de lentilles d’eau ;

Sans aucun doute l’auteur sait conjuguer l’étrange au naturel, peignant sur fond psychologique, les méandres de l’être humain, les destins ratés, ceux inexpliqués et ceux à reconquérir là où cet homme part sur les traces de sa femme, mais c’est la mère de celle-ci qui s’impose comme la clé de cette compréhension entre lui et son épouse, et tout simplement lui. Il se questionne dans le reflet de sa femme, elle qui n’a jamais pu lui révéler le moindre indice ni détail sur son passé et particulièrement sa mère : Eline

*** et si tu penses que le silence et les grimaces de pierre d’animaux héraldiques m’ont ensorcelé — il y a bel et bien ici quelque chose, une présence qui, d’une façon ou d’une autre, forme un tout avec l’entourage. Sans doute hausses-tu effectivement les épaules et hoches-tu la tête, toi qui, froide et réaliste, lis maintenant ma lettre, assise à ton bureau donnant sur la station-service de Shell de l’autre côté de la rue. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment puis-je te décrire ce qu’est cet élément insaisissable, ici partout présent — attentif, tendu, et en même temps aussi fuyant que des ombres ? Si j’étais un Grec de l’Antiquité, je souhaiterais l’appeler le d`ߥ›µ, l’âme vivante de la maison — qui me dit que ce n’est pas un esprit de la forêt, une dryade ? Tu connais le dessin d’Arthur Rackam, cette créature des bois, mi-homme, mi-arbre : un brouillard de cheveux roux, de grands yeux en amande dans un visage anguleux, un sourire méfiant, ironique. Je sens ton impatience devant mes digressions. Rassure-toi, je reviens au monde tangible — lui-même est déjà suffisamment étrange dans ce décor. J’étais allé chercher les clés dans la maison du garde forestier. Après avoir fait le tour du jardin et traversé le pont et la cour intérieure, je trouvai la porte d’entrée.

C’est en fouillant dans les décombres de la maison parentale que Jurgen trouvera la lumière pour éclairer cette ombre pesante sur les non-dits de sa femme, ce grand néant qui entoure son enfance et ses souvenirs. Petit à petit il rassemble les pièces d’un puzzle pulvérisé dans le temps , à une époque où il était souhaitable de cacher certaines vérités. Plus le puzzle prend forme, plus Jurgen découvre son épouse, en passant par toute une série d’étape de ressentis, allant du doute à l’évidence, plus il commence à sonder sa propre existence.

J’avais d’abord eu l’intention de rester à Breskel toute la matinée, mais curieusement, je n’en avais plus, soudain, la moindre envie. Au lieu de la créature aux mille yeux, invisible et pourtant omniprésente qui m’épiait hier de chaque coin de la maison et du jardin, je me passionnais maintenant pour l’image floue d’Eline Breskel. Ne t’impatiente pas, Rina — le silence du bois et la chaleur du plein été n’ont pas pris possession de moi au point qu’une ombre puisse me rendre infidèle. Et pourtant… alors que nous avancions dans la forêt, foulant les aiguilles de pin rouillées, respirant l’odeur capiteuse du bois chauffé par le soleil et du feuillage flétri, voyant la lumière du ciel trembler au-dessus des cimes des arbres, un désir lancinant comme une douleur monta en moi : le désir d’avoir vingt ans et de courir sur ce sable chaud, dans une joyeuse poursuite de la nymphe aux pieds ailés, qui se cache derrière la verdure scintillante des taillis de chênes et sourit, provocante, par-dessus son épaule — de m’allonger auprès d’elle dans les hautes herbes et de voir le reflet des nuages voguer dans ses yeux. J’aimerais savoir un jour pourquoi la main qui écrivit si fermement "Et in Arcadia ego", a souligné trois fois le mot "Liberté". Ce n’est pas en vain que j’ai trouvé Breskel. Je veux découvrir comment était la femme qui t’a mise au monde. J’essayai de faire parler Meinderts, mais c’était impossible. Lorsque je lui demandai s’il avait connu ton père, il frappa de sa canne une branche morte encore accrochée à un arbre et ne répondit pas. Là où le bois fait insensiblement place aux rues du village, il s’arrêta.

L’histoire défile ainsi de découvertes à des suppositions , avec tout le talent de l’auteur à nous offrir de bien belles réflexions, agrémenter d’une sublime écriture. L’histoire par elle-même n’est pas forcément la force du roman, mais bien plus l’art de nous emporter et nous subjuguer par cet enchantement qui opère dès les premiers mots dégustés. Un soupçon de légende, un décor fantastique, des personnages très marquants, le tout enrubanné de poésie et de charme, on ne peut que succomber à cette source cachée.

Deuxième roman que je lis de cette auteure, deuxième légende que je découvre à travers ses livres.

Ressource internet : La nymphe Aréthuse, faisant partie du cortège d'Artémis et fille d'Océanos et de Doris, s'était un jour baignée dans l'Alphée en revenant de la chasse. Le dieu du fleuve s'en éprit et la poursuivit; mais Artémis transforma la nymphe en une fontaine, dont les eaux jaillirent dans l'île d'Ortygie. Le fleuve cherche toujours à la joindre à travers la mer, sans y mêler ses eaux. On montre encore aujourd'hui à Syracuse la fontaine d'Aréthuse, dont le bassin, entouré de papyrus, s'ouvre, à quelques minutes de la place de la Cathédrale, au bout de la via Aretusa. Seulement les eaux qui alimentent ce bassin dérivent d'un aqueduc qui descend de l'Achradine, et passe sous le petit port.

Sans doute l’auteur puise et construit son roman autour d’une légende qui fait office, ici  de passerelle ou miroir au destin d’Eline, tout comme celle de cet homme à la recherche sans doute de son identité, qui se cherche, fuit, doute, tentant de donner un sens au mot : Liberté , un sens à sa vie. 

PAge 92 : “Recommencer. Recommencer ailleurs. Prendre congé de Rina, dire adieu au monde dans lequel j’ai vécu jusqu’ici. Etre libre, et me prouver à moi-même que je suis digne de cette liberté. Etre seul, dans la solitude que j’ai moi-même choisie, qui est un bouillon de culture pour les forces de l’âme. Croître, mûrir, et porter des fruits. M’arracher à cette existence dans laquelle la partie vitale de mon être dépérit de jour en jour. J’aime mon métier, il me passionne, mais ce travail, cette étude ne sont que l’alpha et l’oméga de mon désir ; en moi s’étend une vaste terre en friche prête à être exploitée.”

Extraits en vrac : Page 71 : Je pouvais sonder les secrets de l’atome si je le voulais, mais devant l’énigme de la vie, j’étais impuissant. J’étais seul avec moi-même sur une planète habitée par des êtres aussi solitaires que moi.”

Page 27 “ Comment fixer à jamais cette richesse périssable et pourtant éternellement vivante de formes, de couleurs et de lignes, comment capter l’essence de la beauté, l’élément fugace qui sans cesse nous séduit et  nous trahit ? “

Page 26 : “Là, le temps semble s’être arrêté ; ce que nous sommes convenus d’appeler “le monde” n’a aucun sens. La senteur des roses est perceptible jusqu’au cœur de la forêt. Le silence, qui parfois prend possession de la maison et du jardin, cette absence soudaine de bruit et de mouvement, contient un élément d’attente tendue, de passion que je ne peux expliquer. “

Page 61 : “ Cette maison est vraiment pareille à une coquille : une enveloppe vide, étrangement remplie du murmure du temps. Si j’avais l’oreille plus fine, je pourrais peut-être distinguer les voix qui forment ensemble ce murmure dans lequel se confondent l’hier et l’aujourd'hui.”

Titre :  "La nymphe Aréthuse"
Artiste : Crauk Charles Alexandre

En résumé, une belle lecture particulière et agréable, surprenante de par sa forme et sa qualité, originale et luxuriante comme la végétation qui abonde dans les descriptions, envoûtant comme le parfum des roses fort présentes également, mystérieuse comme le personnage d’Eline, psychologique et romantique à l’image de ces couples qui se font, se défont au fil de leurs incompréhensions, avec toute la complexité de l’être humain.

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Commentaires
J
Je le note sur ma liste à lire.Merci !
P
Merci l'Or, une superbe lecture effectivement, bonne semaine aussi,
L
Pour Ys : il existe en poche !<br /> <br /> Pascale, je savais bien que tu apprécierais ce livre ! Il est magnifique !<br /> Bonne semaine Pascale !
P
à Ys une auteure à découvrir, il y a un titre qui a eu plus de succès et dont elle remaniait avant la publication en France j'ai lu sur france culture voici l'extrait : Les Initiés a été réédité dix-sept fois depuis sa première publication. En vue de cette traduction française, Hella S. Haasse a légèrement retravaillé son livre. <br /> malheureusement ce livre n'est pas à la biblio de chez moi bien dommage j'aurai aimé le lire, peut etre toi tu auras plus de chance avec la tienne !
Y
Je ne connais pas du tout cette auteur mais ce que tu écris et les extraits que tu proposes sont très beaux. Je vois si j'ai un livre d'elle à la bib...
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