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14 novembre 2010

Dimanche poétique avec André Breton

Je viens de terminer un superbe livre de Claudie Gallay, non pas celui dont tout le monde parle ni même le dernier fraîchement sorti, un autre titre dont j’ai guère croisé sur cette toile. Qu’importe, je l’ai savouré, et m’a ouvert une fenêtre vers André Breton que je connaissais certes, mais une petite envie de me replonger dans ses mots…
Par un premier texte, le verbe Etre, peint de désespoir mais j’aime ce verbe “Etre” pour tout ce qu’il comporte, suppose et implique… un verbe fort si on peut dire verbe pour un auxiliaire, puis un second texte  : Tournesol
Le Verbe Être

Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n'a pas d'ailes, il ne se tient pas nécessairement à une table desservie sur une terrasse, le soir, au bord de la mer. C'est le désespoir et ce n'est pas le retour d'une quantité de petits faits comme des graines qui quittent à la nuit tombante un sillon pour un autre. Ce n'est pas la mousse sur une pierre ou le verre à boire. C'est un bateau criblé de neige, si vous voulez, comme les oiseaux qui tombent et leur sang n'a pas la moindre épaisseur. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Une forme très petite, délimitée par un bijou de cheveux. C'est le désespoir. Un collier de perles pour lequel on ne saurait trouver de fermoir et dont l'existence ne tient pas même à un fil, voilà le désespoir. Le reste, nous n'en parlons pas. Nous n'avons pas fini de désespérer, si nous commençons. Moi je désespère de l'abat-jour vers quatre heures, je désespère de l'éventail vers minuit, je désespère de la cigarette des condamnés. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n'a pas de cœur, la main reste toujours au désespoir hors d'haleine, au désespoir dont les glaces ne nous disent jamais s'il est mort. Je vis de ce désespoir qui m'enchante. J'aime cette mouche bleue qui vole dans le ciel à l'heure où les étoiles chantonnent. Je connais dans ses grandes lignes le désespoir aux longs étonnements grêles, le désespoir de la fierté, le désespoir de la colère. Je me lève chaque jour comme tout le monde et je détends les bras sur un papier à fleurs, je ne me souviens de rien, et c'est toujours avec désespoir que je découvre les beaux arbres déracinés de la nuit. L'air de la chambre est beau comme des baguettes de tambour. Il fait un temps de temps. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. C'est comme le vent du rideau qui me tend la perche. A-t-on idée d'un désespoir pareil! Au feu! Ah! ils vont encore venir... Et les annonces de journal, et les réclames lumineuses le long du canal. Tas de sable, espèce de tas de sable! Dans ses grandes lignes le désespoir n'a pas d'importance. C'est une corvée d'arbres qui va encore faire une forêt, c'est une corvée d'étoiles qui va encore faire un jour de moins, c'est une corvée de jours de moins qui va encore faire ma vie.

André Breton –Tiré de : Le révolver à cheveux blanc

Tournesol

La voyageuse qui traverse les Halles à la tombée de l'été
Marchait sur la pointe des pieds
Le désespoir roulait au ciel ses grands arums si beaux
Et dans le sac à main il y avait mon rêve ce flacon de sels
Que seule a respiré la marraine de Dieu
Les torpeurs se déployaient comme la buée
Au Chien qui fume
Ou venaient d'entrer le pour et le contre
La jeune femme ne pouvait être vue d'eux que mal et de biais
Avais-je affaire à l'ambassadrice du salpêtre
Ou de la courbe blanche sur fond noir que nous appelons pensée
Les lampions prenaient feu lentement dans les marronniers
La dame sans ombre s'agenouilla sur le Pont-au-Change
Rue Git-le-Cœur les timbres n'étaient plus les mêmes
Les promesses de nuits étaient enfin tenues
Les pigeons voyageurs les baisers de secours
Se joignaient aux seins de la belle inconnue
Dardés sous le crêpe des significations parfaites
Une ferme prospérait en plein Paris
Et ses fenêtres donnaient sur la voie lactée
Mais personne ne l'habitait encore à cause des survenants
Des survenants qu'on sait plus dévoués que les revenants
Les uns comme cette femme ont l'air de nager
Et dans l'amour il entre un peu de leur substance
Elle les intériorise
Je ne suis le jouet d'aucune puissance sensorielle
Et pourtant le grillon qui chantait dans les cheveux de cendres
Un soir près de la statue d'Etienne Marcel
M'a jeté un coup d'œil d'intelligence
André Breton a-t-il dit passe

André Breton

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Pour lire les poètes du dimanche rdv ici Bookworm

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Commentaires
A
J'aime aussi le premier texte ! De belles ouvertures grâce à toi !
L
Merci pour cette découverte, j'ai vraiment beaucoup aimé le premier " Le verbe Etre "; c'est très très fort... Pas très joyeux mais ça me parle...
P
@ lystig, merci, j'aime assez cette prose poétique, ça nous change des poèmes bien structurés<br /> <br /> @ Mirontaine, une petite luciole serait-elle derrière ton écran, le billet est programmé pour demain matin ... bon dimanche
M
Je m'interroge sur ce texte de Claudie Gallay...Dans l'or du temps? Je suis plongée dans son dernier roman.<br /> J'aime beaucoup les textes d'André Breton. C'est sympa cette intertextualité qui nous ouvre ses portes.
L
deux jolies découvertes que ces textes
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