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29 mars 2011

Mensonges de Valérie Zenatti

Cette histoire, elle, repose sur quelques mensonges.

Quatrième de couverture

« Menteuse », Valérie Zenatti l'est dès la première ligne de ce livre puisqu'elle prétend être Aharon Appelfeld jusqu'à ce qu'elle dévoile sa propre identité.

Cet "aveu" l'amène à parler de son enfance à Nice, de sa fascination pour les fêtes juives, de la révélation que fut pour elle, enfant, le film Holocauste, de son adolescence en Israël avec sa famille, de sa rencontre avec Aharon Appelfeld, l'écrivain dont elle devient la traductrice et l'amie. Donc le héros favori de Valérie Zenatti est « Aharon Appelfeld ». Pas le vrai Appelfeld, l'écrivain mondialement connu dont les livres nous bouleversent.

Mais un personnage qui, même s'il emprunte bien des traits à son modèle, doit beaucoup à l'imagination de Valérie Zenatti. S'autorisant de la complicité qui la lie à Aharon Appelfeld, Valérie Zenatti invente une fiction dans laquelle deux enfants, un garçon et une fille, se retrouvent dans une forêt ukrainienne, pendant la Seconde Guerre mondiale, poursuivis par une meute de loups. Cet épisode presque onirique est le coeur d'un livre où le destin de l'écrivain et celui de sa traductrice ne cessent de se croiser et de se répondre (née en France, Valérie Zenatti a été élevée en Israël).

***

La plume de Valérie Zenatti m’enchante toujours autant, ce petit livre que j’ai choisi de lire sans en connaître la quatrième de couverture, m’a à la fois bouleversée par le sujet  et à la fois ravie par le style. Ce n’est pas un roman à proprement parlé, du moins c’est ce que j’ai ressenti, mais des jeux de miroir, l’adulte se souvient, l’imaginaire croise la réalité : cette période horrible, où le peuple juif fut persécuté d’une façon inhumaine, où aucun adjectif n’est suffisant fort et puissant pour définir ces horreurs.

Je dois dire, que j’ai eu des moments difficiles, malgré la délicatesse et la douceur de la plume, savoir que ces mots noirs sur papier blanc, ont été bien réels, c’est difficilement acceptable de pouvoir imaginer cette cruauté d’humain à humain. Ce n’est pourtant pas la première fois que je lis ce genre de livre sur le sujet, mais jamais je ne parviendrai à lire ces témoignages sans être bouleversée, horrifiée, et pleine de rage envers ces bourreaux.

Deux grandes parties pour cette histoire comme le reflet des faits tels que vécus et ceux exposés : En apparence, première partie ! en apparence, on fait visiter les camps, à notre époque , au moment des faits, on mentait, à tous ….

Mentir pour s’inventer une autre histoire, ne pas croire à cette histoire, mentir pour juste cacher la vérité qui n’est pas toujours belle à dire…

Le livre commence à Nice en 1979, cette petite fille juive ment, mensonges, titre du livre, mentir pour ne pas avouer qu’elle est juive, car à l’école elle n’aime pas être juive, on parle de ce film “holocauste”, elle ment à sa mère pour pouvoir visionner le film. Le mensonge toujours, le mensonge  pour vivre, survivre, pour passer outre les mailles du filet… mentir seule issue possible quand plus rien n’est permis.

Décrire cette époque les mots manquent pour expliquer à des enfants le pourquoi du comment de ces gestes immondes.

Page 10 : “les grandes catastrophes ne supportent pas un langage précieux et lourd, elles exigent au contraire des mots délicats, comme un bandage sur une blessure. Quand j’ai commencé  à écrire, on m’a demandé pourquoi je  n’écrivais pas sur ici et maintenant. On disait de moi : c’est un écrivain de la Shoah. Mais tout écrivain digne de ce nom écrit sur son enfance, et la Shoah est mon enfance. Dans mes livres, je redonne vie aux miens qui ont disparu, à tous les miens, car je contiens en moi mes grands-parents pieux, mes parents assimilés, mes oncles et mes cousins communistes, anarchistes et bundistes.

A mes yeux, la littérature est l’art de concilier le temps elle doit être à la fois passé, présent et futur. Si elle ne se préoccupe que du passé, c’est de l’histoire, si elle ne se préoccupe que du présent, c’est du journalisme, et si elle n’est tournée que vers le futur, elle devient science-fiction. L’écriture, comme la prière, permet d’être en contact avec ce qu’il y a de plus profond en nous. Ce n’est pas une transcription de la réalité, mais l’intégration de la réalité que l’on restitue pour parvenir à une extension de soi-même.”

Puis le récit se poursuit à Auschwitz en janvier 1994, visite de ce camp de la mort, je n’en dirais pas plus…

L’histoire se propulse en 2002, avec un épisode souvenir par le biais du livre “ Le temps des prodiges”, passage bouleversant…

Page 46 : “ je n’étudie pas : je lis. je n’étudie pas : je suis traversée par une voix,des images un mystère insondables derrière des phrases pourtant limpides. Cet écrivain m’apparait comme Kafka, Schnitzler et Zweig réunis. Kafka, Schnitzler et Zweig qui auraient vécu la catastrophe, et lui auraient survécu. Je suis sous le choc de la découverte. On appelle ça une rencontre.”

En apparence, elle rencontre Aharon Appelfeld, moment magique : page 53 “ Alors, un à un, des pans entiers de ma vie surgissent presque malgré moi, entre les cyprès, les rosiers et les géraniums de la maison Anna Tikho. Je respire un peu mieux à chaque question, j’ose en poser moi aussi, l’échange devient conversation et, de l’extérieur, nus sommes un vieil homme au regard vif et une jeune femme que l’on pourrait prendre pour un grand-père et sa petite-fille ou pour un écrivain et une journaliste venue l’interviewer, ou même, en tendant l’oreille, pour un écrivain et sa traductrice en langue française. En réalité, il se passe là quelque chose que personne ne peut distinguer à part lui, peut-être, et moi, plus tard, car les mots et la prise de conscience qui les accompagne viennent toujours à contrecoup des émotions et des sensations.”

La deuxième partie : en transparence… histoire de ce petit garçon et de cette petite fille réfugiés dans les bois, traqués par les loups, perdus, seuls avec leur incompréhension et leur peur, la faim et le froid, ils fuient pas seulement les loups de la forêt mais aussi l’horreur humaine. Très beau récit, émouvant et délicieusement écrit avec délicatesse :

page 68 “ faire semblant de goûter au bonheur est plus douloureux que se laisser aller  à la peine, alors ils continuent à se bercer l’un l’autre. Le ciel de nouveau noir déverse des flots de neige au-dessus d’eux, ils tanguent ensemble, et chaque oscillation de leur corps abat un mur en eux, il y a tant, des murs et des murailles dressés à l’intérieur pour ne pas dire, ne pas ressentir, les protections érigées patiemment s’effondrent et les laissent démunis, mais être démuni à deux n’est pas comme être démuni tout seul.”

Un petit livre chargé d’émotion, écrit avec brio et douceur malgré le sujet difficile.

On ressent la sève des mots puisée dans les racines profondes d’un peuple qui a souffert, la blessure reste visible encore ici et maintenant.

Ecrire pour dire,

Ecrire pour ne pas oublier l’inoubliable.

 

Un grand merci à la librairie Dialogues54768788 pour cette lecture lue dans le cadre de Dialogues croisés.

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J’inscris ce livre à mon anti-challenge, relire les auteurs qui m’ont enchantée, voilà chose faite. logo antichallenge

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Commentaires
P
@ lasardine, quand on aime un auteur, on apprécie de découvrir un nouveau titre
L
j'ai très envie de lire encore l'auteur après avoir vraiment aimé "Une bouteille dans la mer de Gaza" et "Quand j'étais soldate"!
P
@ l'or, je n'ai pas lu 'en retard pour la guerre" mais les âmes soeurs' j'avais beaucoup aimé... le sujet est dur mais ce n'est pas un documentaire non plus attention, la romance est bien présence et sa plume poétique également...
L
J'ai lu les deux titres de Zenatti "En retard pour la guerre" et "Les âmes soeurs", et je l'aime beaucoup (même si j'avoue une préférence pour "En retard pour la guerre"...) Celui là est un sujet dur, un livre d'hiver pour moi... D'ici là il sera sans doute sorti en poche, j'attendrais donc un petit peu...<br /> Bisous Pascale, bon week end
P
@ anne, j'avais bcq aimé les âmes soeurs, ce petit livre est différent mais sa plume toujours aussi séduisante.<br /> <br /> @ alex, dur pour moi, c'est certain, mais il est doux dans son style<br /> <br /> @ Aifelle, ah, il te suffit de le lire pour le savoir
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