Je voudrais tant que tu te souviennes de Dominique Mainard
Ce roman se déroule dans une petite ville française, divisée entre une cité et un quartier pavillonnaire cossu et somnolent.
Mado y habite seule un pavillon. Elle n'a jamais eu d'autre amie qu'Albanala, une étrangère, cartomancienne à ses heures. Un jour, celle-ci lui présente sa nièce, Julide, une fillette alors âgée d'une dizaine d'années, et au fil du temps une profonde tendresse naît entre Mado et l'enfant. Le père de Julide est né dans un pays étranger, et sa mère est issue d'une campagne française. Dans un lieu comme dans l'autre, les mariages sont le fruit de la raison et non des sentiments : ainsi l'adolescente est-elle fiancée dès l'âge de seize ans à un cousin, sort auquel elle se plie.
Mais Mado la voit se résigner avec tristesse et impuissance, avec le sentiment que s'éteint la flamme qui habitait la jeune fille. Un jour, Albanala retourne dans son pays natal sans un mot d'explication, mais avant cela elle fait jurer à sa nièce de veiller sur Mado. Arrive en ville un homme que l'on surnomme l'Indien. Dès l'instant où Mado l'aperçoit, elle en tombe éperdument amoureuse. Mais pourquoi le fuit-elle lorsqu'il cherche à l'approcher ? Et pourquoi Julide s'efforce-t-elle d'empêcher à tout prix une rencontre ? Tous les thèmes chers à Dominique Mainard sont présents dans ce roman, l'exil, le monde imaginaire, les secrets et les mensonges, et enfin, les rencontres improbables qui seules nous permettent d'échapper à nous-mêmes.
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Une lecture particulière à l’atmosphère singulière mêlant réalité et conte. L’auteur aborde le coeur du sujet d’une façon détournée, nous obligeant à suivre l’histoire comme un funambule sur son fil. On fixe un point mais c’est un océan de mille petites choses qu’on peut admirer de là-haut.
Notre regard se porte sur Mado, cette femme étrange qui parfois perd le fil du temps, celui de la réalité. Alors que Julide la soutient et tente de raccommoder ce tissu déchiré en l’obligeant à marquer dans un cahier sa mémoire meurtrie, lui imposant un petit soldat rouge pour ne pas oublier la prise des cachets.
Et d’autres petites choses qui peuvent nous paraître insignifiantes mais qui sont autant des points d’ancrage dans un quotidien pour une femme atteinte d’Alzheimer…
C’est l'un des sujets et d’autres viennent s’y greffer, Mado est atteinte de polio dès son plus jeune âge, et son père pour lui faire “”oublier”” son infirmité lui offre un appareil photo, qui ne l’a jamais quitté.
Page 34 : “ Chaque jour, son père l’envoyait dans le monde après lui avoir glissé son appareil photo autour du cou. Elle s’en allait pour des promenades de plus en plus longues. Elle empruntait les étroits chemins de terre, se hâtait sans bruit entre les haies, et quand elle descendait en ville c’était tôt le matin, avant que les rues ne s’animent. Elle se cachait lorsqu’elle entendait des pas ou des voix, se faufilait entre les arbres, s’accroupissait derrière les poubelles. Même quand elle avait eu dix ans, puis douze, puis davantage, jamais le monde n’avait tout à fait cessé de lui faire peur.”
Son objectif braqué au sol pour capturer l’infiniment petit, son regard depuis s’est figé vers le bas. Une façon sans doute de nous faire comprendre, qu’on refuse de voir le monde tel qu’il est, une façon de s’enfermer dans une bulle avec son handicap.
Mado, s’est refusée à la vie, n’a jamais rencontré l’amour, quand arrive en ville, un drôle de personnage nommé “l’Indien” alors l’histoire bascule dans une autre dimension avec ses espoirs, ses blessures, les trahissons, tous les affres de l’amour en somme.
Mais je ne peux en dire plus, peut-être encore, ce fabuleux jeu de miroir, entre terre et ciel, alors que celui qui n’avait de cesse de plonger ses yeux au plus loin du ciel, rencontre celle qui ne sait que braquer son regard à ses pieds.
Page 109 : “Il voit autre chose depuis les toits, d’où il l’observe. Parfois il la voit hésiter au coin d’une rue, se figer, tourner sur elle-même, faire quelques pas avant de rebrousser chemin. Il n’a pas besoin de distinguer ses traits pour deviner l’inquiétude qui s’empare d’elle dans ces instants-là. ”
Deux êtres totalement différents à la faille d’un point miraculeux leur regard se percute provoquant le choc inattendu et inespéré … s’en suivent d’autres interrogations. Peut-on aimer un homme si jeune, alors que la vieillesse et la maladie ont ravagé tout espoir d’être regardé et aimé ? A-t-on des droits sur autrui ? Où s’arrête la protection des malades au point de leur voler leur amour ?
Page 234 :”Promets-moi juste que tu l’aimeras. Promets, promets que tu l’aimeras comme je l’aime.” Alors Julide se tourne vers elle et murmure avec un pâle sourire qui les mets à égalité, à égalité vraiment, aucune n’a plus perdu ni donné que l’autre : “vous n’avez pas à vous inquiéter. C’est cela que j’ai aimé en premier, avant de l’aimer lui, c’est cela que j’ai aimé – combien vous l’aimiez.”
J’ai beaucoup parlé de Mado, mais l’histoire de Julide se superpose également, cette jeune fille que sa famille veut marier au cousin Achille, se pose aussi des questions existentielles. Tiraillée entre son avenir et la protection de Mado, comment se sortira-t-elle de ce jeu du hasard jeté sur son chemin. Les cartes ont parlé pour elle mais alors le destin est-il si prévisible tel que lui a soufflé sa tante Albanala ?
Page 145 : “ Comment as-tu pu me laisser ainsi, a-t-elle écrit, comment as-tu pu imaginer que ta nièce saurait quoi faire d’une vieille femme amoureuse ?”
Un livre qui nous laisse dans un état étrange, des personnages sortis d’un conte, dans un univers empreint de mystère. J’ai adoré ce livre et je vous le conseille si vous aussi appréciez les histoires racontées d’une façon feutrée et colorée, sans pour autant omettre la réalité acide.
D’autres avis : Mirontaine, l’antre des mots, Sylire, et Clara