Tout seul de Chabouté
376 pages d'émotion pure...50 ans qu'il vit ici, sur ce caillou, dans son vaisseau de granit. Bateau immobile qui ne l'emmène nulle part et qui ne rejoindra jamais aucun port... Et pourquoi quitter ce lieu alors que le monde au-delà de cette satanée ligne d'horizon fait si peur ? Où s'évader lorsqu'on n’a nulle part où aller ? Comment combattre la solitude et empêcher que ce silence perpétuel ne devienne assourdissant ?... Des années passées sur son rocher, avec l'imagination comme seule compagne... Avec Tout seul, Christophe Chabouté signe un de ses albums les plus surprenants, où se côtoient onirique et quotidien et où s'enchevêtrent subtilement sensibilité, tendresse et humour...
***
Etant assez novice en matière de BD, je dois dire que je fus surprise de découvrir le monde de Chabouté ! Des dessins particulièrement impressionnants, vivants, et qui se suffisent à eux-mêmes, les mots deviennent inutiles ou si peu que tout nous laisse à notre ressenti dans la résonnance du dessin. Bien que l’encre noire peut sembler rebutante, voire inquiétante, de loin, ce monochrome nous offre également un monde à pénétrer.
L’histoire est touchante et s’annonce en douceur sans un seul mot, le trait nous tire de page en page, puis le rythme cadencé s’instaure par les visites au phare pour ravitailler ce pauvre diable qui ne connait que son monde clos. Le mystère tourne, et reste en sourdine là-haut, alors que des grands boums éclaboussent les pages ! Le lecteur se voit presque sursauter et tente d’imaginer l’origine de ce bruit incongru d’un solitaire ayant pour seul compagnie un poisson dans son bocal.
Isolé du monde entier, seul ce pêcheur, le rattache à la terre. Avec un dictionnaire, le mot du hasard, ouvre l’imaginaire de ce solitaire. Comment sans image, sans avoir vu que le ciel, et la mer, se faire une idée précise d’un objet dont le regard n’a jamais touché même en photo ? Les dessins sont ici, sortis tout droit d’un monde bizarroïde donnant un ton d’humour dans la morsure de la banalité de cet homme. J’ai beaucoup aimé la représentation des définitions par exemple celle des champignons ou celle du hautbois, ou encore celle de la métaphore.
Le marin pêcheur emploie à son bord, un étrange ouvrier, solitaire lui aussi, méfiant de ce monde sans pitié, après avoir connu l’ombre de sa geôle, s’inquiète de la vie esseulée de cet homme dans son phare. C’est avec parcimonie que l’auteur amorce le mystère de cet homme “enfermé” dans son phare : une malformation au visage, pour ne pas dire un monstre dont les parents par honte ont toujours tenu caché ce fils immonde. Au coeur de cette injustice de la nature et de la cruauté des hommes, cet ouvrier ex-détenu, ressent ô combien , cet isolement. C’est alors que lui vient une idée : il appose un mot collé sur une caisse de ravitaillement. Ce qui pourrait faire plaisir à cet homme, si seul au monde ? Justement la réponse est simple et si inattendue : des images du monde ? Pourqruoi et comment découvrir le monde enfermé dans un phare au milieu de nulle part ? C’est par un hasard de circonstances que le monde est venu en image à lui par l’oubli d’un magasine féminin au pas de son phare. Imaginez, le choc, lui qui ne connaissait de cette planète que les mots de son dictionnaire et son imaginaire débordant, là d’un coup, des images du monde tel qu’il peut être ? C’est le déclic, et le récit vire de bord.
L’histoire nous touche, on se prend d’amitié pour ces deux hommes, l’un venant au secours de l’autre, et l’autre trouvant enfin une main tendue, une issue à sa grande solitude.
Des scènes touchantes, on s’imagine et ressent cette grande détresse, avoir pour seul ami, un poisson, et juste les mots d’un dictionnaire pour se divertir, vivre à travers son imaginaire.
Une belle lecture, très émouvante, qui touche également les grands enfants. Le peu de mots laisse à l’enfant tout loisir d'avancer en douceur et faire de cette BD son propre récit, son propre ressenti. Ma fille l’a apprécié, et s’est plongé par deux fois dedans, une première pour la découverte et une deuxième pour revenir sur toute la subtilité des dessins qui parlent mieux que les mots. C’est bien connu mieux vaut un bon dessin qu’un grand discours. Ce fut une belle occasion de lui faire apprécier un autre univers, différent et implicite.
Je suis ravie de découvrir cet auteur et sa poésie tout en finesse qui transpire au bout de son crayon. La dextérité incroyable de l’auteur insuffle toute la magie de l’émotion. C’est tout le détail qui fait la différence et la grande qualité de cette BD.
Le prochain titre disponible en BM :
Pour découvrir les lecteurs de cliquez