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30 juin 2011

L’élégance du hérisson de Muriel Barbery

 Un toujours dans le jamais

 

 

"Je m'appelle Renée, j'ai cinquante-quatre ans et je suis la concierge du 7 rue de Grenelle, un immeuble bourgeois. Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j'ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Mais surtout, je suis si conforme à l'image que l'on se fait des concierges qu'il ne viendrait à l'idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants. Je m'appelle Paloma, j'ai douze ans, j'habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches. Mais depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c'est le bocal à poissons, la vacuité et l'ineptie de l'existence adulte. Comment est-ce que je le sais? Il se trouve que je suis très intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. C'est pour ça que j'ai pris ma décision : à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, je me suiciderai. "

***

 

Un roman qui a suscité bien des éloges et des critiques à sa sortie, prendre du recul pour le lire me semblait nécessaire afin de me forger mon propre  sentiment ; l’occasion de cette lecture commune fut pour moi, le prétexte à me plonger dedans.

Je m’étais refusée à lire en détail tous les résumés, j’ai horreur de connaitre toute l’histoire du roman avant ma lecture, et je tente moi-même quand je présente un livre de rester assez flou et je me refuse de faire des résumés et surtout pas un résumé total et détaillé, car le futur lecteur ne peut plus pénétrer dans le roman sans avoir une certaine appréhension ou une idée bien précise, je trouve cela désolant de connaitre toute l’intrigue et toutes les ficelles du récit. Quel intérêt ensuite de lire le livre ?

Pour ma part, je me contenterai comme souvent de donner mon avis de lectrice et je ne vais pas me risquer à faire une analyse de ce bouquin, je laisse ce travail de chirurgien aux spécialistes et professionnels. Cette opération chirurgicale d’un roman me gêne vis à vis de l’auteur, comme si on le dépouillait de son travail ardu, comme si un étranger pouvait savoir mieux que lui ce qu' il a écrit, mais qui, malgré tout,  a la prétention de savoir mieux que l’auteur son propre sentiment, et sa profonde pensée pour le dévoiler à nu et JUGER !

Dans un premier temps, j’ai aimé l’histoire de Renée, personnage touchant, cet hérisson qui sort ses piquants mais qui au fond n’est que douceur. Avant la lecture, le titre m’interpelait puis la réponse vint aussi en son temps et je dois dire que l’auteur a eu elle aussi l’élégance et la finesse de nous offrir un personnage à la hauteur de sa définition :

 

page 153  ( édition Gallimard 2006):Mme Michel, elle a l’élégance du hérisson : à l’extérieur, elle est bardée de piquants, une vrai forteresse, mais j’ai l’intuition qu’à l’intérieur, elle est aussi simplement raffinée  que les hérissons, qui sont des petites bêtes faussement indolentes,  farouchement solitaires et terriblement élégantes.” 

Ces petites bêtes sont adorables, d’une beauté incontestable, si on sait les regarder de tout près, les piquants ne sont pas piquants du tout ! Comment, vous doutez ! Et encore des idées bien figées, de toute personne qui se contente de suivre le troupeau de mouton, de toute personne qui ne prend jamais la peine d’aller au-delà ! Prenez un hérisson dans vos mains, et caressez-le dans le sens du poil, et vous serez agréablement surpris que ces piquants si rebutants, ne sont que douceur et souplesse !

Et bien, Madame Michel, et tout à l’image du hérisson, qui se pare d’une carapace pour endosser son rôle de concierge d’un immeuble de personnes qui sous le seul prétexte qu’elles ont des comptes en banque rondouillets, se croient l’élite de la société, et personne pour les égaler ! Se parquant dans des stéréotypes qui ne ressemblent qu’ à leur propre image, l’auteur nous régale sans doute un peu trop d’anecdotes de ce monde sous le regard aiguisé de Renée et de Paloma.

Le style est à mon goût un peu trop forcé pour un rendu certes  à l’image de l’histoire cepandant pour notre plus grand bonheur,  on peut déceler par moments le relâchement de l’auteur par des passages plus poétiques et dont je me suis régalée, je peux sans révéler l’intrigue vous mettre la fin du livre qui m’a laissée dans une parenthèse moi aussi : “En pensant à ça, ce soir, le cœur et l’estomac en marmelade, je me dis que finalement, c’est peut-être ça la vie : beaucoup de désespoir mais aussi quelques moments de beauté où le temps n’est plus le même. C’est comme si les notes de musique faisaient un genre de parenthèses dans le temps, de suspension, un ailleurs ici même, un toujours dans le jamais. oui, c’est ça, un toujours dans le jamais. […] car pour vous, je traquerai désormais les toujours dans le jamais. La beauté dans ce monde. “

Dans un deuxième temps, j’ai ressenti un peu de lassitude à lire les passages de Paloma, j’en ai même survolé certains qui pour ma part ne donnaient que peu de poids au livre. Toutefois  son personnage est intéressant, au cœur de cette élite, elle donne sa version, à contrario de Renée qui n’en fait pas partie mais la subit, on ressent une autre version bien qu’elles soient parallèles et finissent malgré tout le rationalisme mathématique, par se rejoindre.

Au-delà de cette peinture de cette bourgeoisie engoncée dans son carcan, l’auteur nous offre aussi de bien belles pages d’amitié sincère, pure et véritable entre Renée et  Manuela : 

Page 347 : Te souvient-il de ces tasses de thé dans la soie de l’amitié ? dix ans de thé et de vouvoiement et, au bout du compte, une chaleur dans ma poitrine et cette reconnaissance éperdue envers je ne sais qui ou quoi, la vie, peut-être , d’avoir eu la grâce d’être ton amie. Sais-tu que c’est auprès de toi que j’ai eu mes plus belles pensées , Faut-il que je meure pour en avoir enfin conscience …Toutes ces heures de thé, ces longues plages de raffinement, cette grande dame nue, sans parures ni palais, sans lesquelles, Manuela, je n’aurais été qu’une concierge, tandis que par contagion, parce que l’aristocratie du cœur est une affection contagieuse, tu as fait de moi une femme capable d’amitié… Aurais-je pu si aisément transformer ma soif d’indigente en plaisir de l’Art et m’éprendre de porcelaine bleue, de frondaisons bruissantes, de camélias alanguis et de tous ces joyaux éternels dans le siècle, de toutes ces perles précieuses dans le mouvement incessant du fleuve, si tu n’avais, semaine après semaine, sacrifié avec moi, en m’offrant ton cœur, au rituel sacré du thé ?

Des vérités qui ne sont plus à prouver, une amie véritable est chose rare et précieuse, l’auteur a su nous en apporter la preuve par de beaux passages.

Bien plus que l’amitié, quoique  :  l’amour… et c’est en la compagnie de Kakuro qu’il s’invite au seuil de la conciergerie avec tout le charme du Japon pour ne pas dire la grâce de cet homme qui démasque René en citant un passage de Tolstoï d’“Anna Karénine”, il faut dire que le chat de Renée se nomme Léon en honneur de cet auteur qu’elle affectionne. Ce prénom a-t-il mis la puce à l’oreille à Kakuro ? (voir la vidéo en bas)

Et je  peux vous souffler que l’élégance du hérisson s’est avant tout, l’éloge de la littérature et des arts. Des moments de lecture loin du quotidien, Renée les apprécient grandement, et doit ruser pour ne pas révéler à cette aristocratie qu’elle est autant pour ne pas dire plus, cultivée que ces prétentieux. Et la question se pose : la culture était-elle réservée uniquement à une tranche de la société ? N’était-elle abordable si et seulement si, on est né une cuillère d’argent dans la bouche ?

Vous l’aurez bien compris, ce livre regorge de pensées, de moments succulents et truculents, bref je ne vais pas vous en faire encore une rallonge : malgré certaines redondances et lassitudes par les tableaux brossés de cette aristocratie, j’ai apprécié cette lecture pour le charme du hérisson et les très beaux passages que l’auteur a su nous offrir entre deux épisodes un peu trop bridés par son style, voulu je l’ai bien compris mais quand même irritant.

Je retiens pour mon plus grand plaisir de lectrice toutes ces réflexions sur l’humain, à vous de les découvrir, d’apprécier votre propre cheminement au sein de cette lecture. Un livre qui semble aux premiers abords “prétentieux” à l’image de cette aristocratie mais qui finalement se révèle philosophique et poétique.

 


 

Quelques passages retenus pour votre plaisir :

Quel est donc le meilleur ami du livre ? A votre avis !

Page 94 : Comme Kakuzo Okakura, l’auteur du livre du Thé, qui se désolait de la révolte des tribus mongoles au XIIIe siècle non parce qu’elle avait entraîné mort et désolation mais parce qu’elle avait détruit, parmi les fruits de la culture Song, le plus précieux d’entre eux, l’art du thé, je sais qu’il n’est pas un breuvage mineur. Lorsqu’il devient rituel, il constitue le cœur de l’aptitude à voir de la grandeur dans les petites choses. Où se trouve la beauté ? Dans les grandes choses qui, comme les autres, sont condamnés à mourir, ou bien dans les petites qui, sans prétendre à rien, savent incruster dans l’instant une gemme d’infini ? Le rituel du thé, cette reconduction précise des mêmes gestes et de la même dégustation, cette accession à des sensations simples, authentiques et raffinées, cette licence donnée à chacun, à peu de frais, de devenir un aristocrate du goût parce que le thé est la boisson des riches comme elle est celle des pauvres, le rituel du thé, donc, a cette vertu extraordinaire d’introduire dans l’absurdité de nos vies une brèche d’harmonie sereine. oui, l’univers conspire à la vacuité, les âmes perdues pleurent la beauté, l’insignifiance nous encercle. Alors, buvons une tasse de thé. Le silence se fait, on entend le vent qui souffle au-dehors, les feuilles d’automne bruissent et s’envolent, le chat dort dans une chaude lumière. Et, dans chaque gorgée, se sublime le temps.

 

Moi, je préfère le café et cette petite réflexion sur l’adulte vu par une enfant. J’affectionne aussi cette bulle matinale avec mon café et mon livre  :

page 95 : Il s’absorbe dans sa lecture pendant une bonne demi-heure. Pour pouvoir profiter de cette demi-heure, il doit se lever tôt parce que ses journées sont très remplies. Mais chaque matin, même s’il  a eu une séance nocturne et qu’il n’a dormi que deux heures, il se lève à six heures et lit son journal en buvant son café bien fort. C’est comme ça que papa se bâtit chaque jour. Je dis “se bâtit” parce que je pense que c’est à chaque fois une nouvelle construction, comme si tout avait été réduit en cendres pendant la nuit et qu’il fallait repartir de zéro. Ainsi vit-on sa vie d’homme, dans notre univers :  il faut sans cesse reconstruire son identité d’adulte, cet assemblage bancal et éphémère, si fragile, qui habille le désespoir et, à soi devant sa glace, raconte le mensonge auquel on a besoin de croire. Pour papa, le journal et le café sont les baguettes magiques qui le transforment en homme d’importance. Comme une citrouille en carrosse. Notez qu’il y trouve une grande satisfaction : je ne le vois jamais aussi calme et détendu que devant son café de six heures.

Et ces réflexions existentielles se suivent, vu par Renée :

Page 100 : Ainsi, comment se passe la vie ? Nous nous efforçons bravement, jour après jour, de tenir  notre rôle dans cette comédie fantôme. En primates que nous sommes, l’essentiel de notre activité consiste à maintenir et entretenir notre territoire de telle sorte qu’il nous protège et nous flatte, à grimper ou ne pas descendre dans la belle hiérarchique de la tribu et à forniquer de toutes les manières que nous pouvons _ tant de plaisir que pour la descendance promise. Aussi usons-nous une part non négligeable de notre énergie à intimider nous séduire, ces deux stratégies assurant à celles seules la quête territoriale, hiérarchique et sexuelle qui anime notre conatus. Mais rien de cela vient à notre conscience. Nous parlons d’amour, de bien et de mal, de philosophie et de civilisation et nous accrochons à ces icônes respectables comme la tique assoiffée à son gros chien tout chaud.

Ces peintures de cette classe, ne seraient-elles pas en résumé, le tableau parfait pour démontrer l’absurdité de notre humanité à vouloir toujours plus, à parfaire un faux paradis terrestre et se croire les dieux de ce monde. Je crois que le nectar de ce roman se trouve  là où ne s’y attend le moins, non dans la romance mais dans toute la réflexion qui se mire dans ces personnages brossés. C’est ce que j’apprécie le plus dans un livre, après le style :  la réflexion qu’il offre, et  l’ouverture vers d’autres pensées.

Des instants de grâce nous régalent, qui aime la musique succombera …

Page 111 : D’un des appartements descend une mélodie, clairement et joyeusement distincte. Quelqu’un joue du piano une pièce classique. Ah, douce heure impromptue déchirant le voile de la mélancolie… En une fraction d’éternité, tout change et se transfigure. Un morceau de musique échappé d’une pièce inconnue, u peu de perfection dans le flux des choses humaines – je penche doucement la tête, je songe au camélia sur la mousse du temple, à une tasse de thé tandis que le vent, au-dehors, caresse les frondaisons, la vi qui s’enfuit se fige en u joyau sans lendemain ni projets, le destin des hommes, sauvé de la pâle succession des jours, s’auréole enfin de lumière et, dépassant le temps, embrase mon cœur quiet.

Et encore d’autres petites choses qui font le bonheur d’une vie, savoir apprécier des moments divins …

Page 252 : Et puis, pluie d’été…

Savez-vous ce que c’est, une pluie d’été ? D’abord la beauté pure crevant le ciel d’été, cette crainte respectueuse qui s’empare du cœur, se sentir si dérisoire au centre même du sublime, si fragile et si gonflé de la majesté des choses, sidéré, happé, ravie par la munificence du monde. Ensuite, arpenter un couloir et, soudain, pénétrer une chambre de lumière. Autre dimension, certitudes juste nées. Le corps n’est plus une gangue, l’esprit habite les nuages, la puissance de l’eau est sienne, des jours heureux s’annoncent, dans une nouvelle naissance. Puis, comme les pleurs, parfois, lorsqu'ils sont ronds, forts et solidaires, laissent derrière eux une longue plage lavée de discorde, la pluie, l’été, balayant la poussière immobile fait à l’âme des êtres comme une respiration sans fin. Ainsi, certaines pluies d’été s’ancrent en nous comme un nouveau cœur qui bat à l’unisson de l’autre.

 


 

Lecture commune avec Anne de poche en poche , George (Les livres de George Sand et moi), Plaisir des mots (Les carnets de Plaisir des Mots), Mango, Gaëlle, reveline


 

Après la lecture de ce roman, j’aimerai bien voir le film, que je n’ai pas voulu aller voir n’ayant pas lu le livre à sa sortie, je trouve sans l’avoir vu que  :

 

 Le Hérisson
Le hérisson Bande-Annonce

 

un dvd fera l’affaire en ai-je le choix ! 

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Commentaires
P
@ le papou, une belle histoire, mais un style un peu trop encombré c'est pesant au fil de la lecture toutefois il faut retenir les excellents passages bien que trop rares.
L
Des commentaires lus après mon billet, j'ai retenu qu'on aime ''L'élégance du Hérisson'' ou qu'on n'est pas capable de le lire. <br /> Je vois que les commentaires de ta critique confirment cette séparation quasi abyssale.<br /> <br /> Le Papou
P
@ sophie 57, le style devient irritant, il est vrai mais j'ai tenu bon, j'aimerais bien voir le film
S
mais oui, je l'avoue, je l'ai commencé, puis abandonné, le style me fatigait, et je n'ai pas eu le courage d'aller plus loin.Par contre j'ai vu le film avec ma fille de douze ans, on a toutes les deux adoré, et Josiane Balasko est géniale!
P
@ lasardine, j'aimerais bien voir le film également :)
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