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4 novembre 2010

La tête en arrière de Violaine Schwartz

" une écharde au cœur de ton cerveau”

« Tu es vide comme la maison est vide. Ton cerveau n'est que pièces mortes, où stagnent pensées croupies, rêves à l'abandon, projets avortés  pièces mortes, tête morte, balayée de courants d'air, envahie d'herbes folles. »

La tête en arrière  vu par l’éditeur

Elle est chanteuse lyrique. Sans travail, depuis des mois et des mois.
Elle prépare une improbable audition pour jouer dans La Voix humaine de Poulenc, elle tourne en rond avec sa petite fille, dans sa grande maison, trop grande pour eux trois, une maison qui appartient à sa belle-famille, vous verrez, c’est la maison du bonheur, leur a-t-on dit en leur remettant les clés. Et aussi : il faudra penser à purger les radiateurs et tondre la pelouse et une maison pleine de phrases et de choses à faire, dans laquelle ils flottent, trop d’escaliers, trop de pièces mortes, elle se dissout dans le papier peint, elle s’égare dans les fissures du plafond, et les problèmes matériels prolifèrent comme les pucerons dans le jardin, quelle chance d’habiter là, les voix ne s’arrêtent jamais dans sa tête, et la panique grandit, de tout ce qu’il y a à faire, que les gens font, qu’elle n’arrive pas à faire, à commencer par trouver du travail. Mais plus elle s’acharne en vocalises, plus sa voix s’abîme, moins l’argent rentre et plus les tuyaux fuient, plus les rues sont venteuses dans l’hiver qui arrive, et plus elle a la tête qui part en arrière : le sol se dérobe sous ses pieds, le monde danse tout à coup, mais inspire, expire, elle se rattrape toujours, jusqu’à la fois d’après...
Ce livre est le portrait d’une femme au pire d’elle-même, la radiographie d’un cerveau chauffé à blanc, rongé par la paranoïa, miné par le chômage, envahi d’herbes folles et de voix, mais qui cherche furieusement à sortir de la spirale et déploie une énergie démente pour rester debout. C’est le solo d’une imagination à fleur de nerfs, une partition minimaliste, obsessionnelle et trouée de silences, comme le texte lui-même, construit autour de ces points de butée où la pensée tombe dans le vide de la page blanche, mais repart aussitôt, toujours plus aiguisée, toujours plus vive, comme une machine à spéculer, lancée à toute vitesse, et plus le réel est pauvre, taiseux, plus il engendre un monde intérieur prolifique et ramifié, qui s’empare du moindre détail pour en faire un roman

Comédienne et chanteuse, Violaine Schwartz fait du théâtre depuis 1990.
La tête en arrière est son premier roman.image_c1r


C’est un roman atypique complètement surprenant de par le thème abordé et par sa structure originale tout à fait en harmonie avec l’écriture et le délire qui nous submerge de page en page.

L’auteur nous entraîne, nous tire par la main, dans sa maison du bonheur qui bientôt se révèle la maison du malheur. Le lecteur est complètement pris au piège de cette folie qui s’installe de plus en plus profondément, des éclats de lucidité parfois nous redonne du souffle, les pages tournent, défilent de plus en plus vite, hypnotisé par ce spectacle ahurissant de cette femme piégée dans sa maison, prisonnière de sa voix qui lui fait faux bond et avec son petit vélo dans son cerveau, qui roule, roule…

Tout se chamboule, elle s’invente des films, puis se reprend, sans pourtant ressentir de la peur ou de l’angoisse, ce roman est digne d’un Stephen King non par le registre mais par cette magie, cette force, car comme lui elle sait ensorceler le lecteur ne laissant aucune chance de refermer le livre avant la fin.

C’est stressant presque envoûtant, la folie s’annonce mine de rien, petit à petit on se pose des questions puis les questions ne se posent plus , et à partir de là, on plonge en plein dans le délire, c’est tout à fait fou ! J’ai adoré ce roman ! Complètement dément, surprenant, il m’a fait penser au film “vol au-dessus d’un nid de coucou” non par l’histoire mais par cette folie qui gagne le personnage, luttant malgré tout mais fini par sombrer tout à fait.

Dans cette maison du bonheur telle que décrite, s’infiltre les ombres du malheur : “C’est un pavillon de banlieue en pierres meulières fort prisé des agences immobilières. Tous les jours, la boîte aux lettres regorge de prospectus, offres d’achat, expertises, évaluations gratuites. Et tous les jours, on sonne pour savoir si la maison est à vendre. C’est une chance d’habiter là, tous vous envient : quatre niveaux, une terrasse, une marquise en verre qui donne un cachet fou, un jardin mitoyen avec celui du voisin, un cerisier et des bambous, un sous-sol aménagé, trois salles de bains, des combles transformés en mezzanine, il y a juste quelques travaux d’huisserie et de plomberie à prévoir.
Les courants d’air tombent pile au-dessus du lit, demain j’aurai encore la voix prise. Il doit y avoir une tuile qui manque, un trou dans la frisette, bientôt il pleuvra sur l’oreiller. Tu ne pourras plus dire que c’est imaginaire. Un vent glacial sur la poitrine. Tu ne sens rien ? Quelle mauvaise foi. On montera demain sur le toit, tu verras que j’ai raison. Tu as fermé la porte, tu es sûr ? Quand on est couché là-haut, on ne sait pas ce qui se passe en bas dans le jardin, n’importe qui peut entrer pendant qu’on dort. Chut ! Tu as entendu ? Il y a du bruit dans l’escalier, va voir, je te dis qu’il y a quelqu’un.
La maison est envahie par des ronces mauvaises, tu ne peux plus sortir, les serrures sont bouchées par des grappes d’insectes, les canalisations lépreuses laissent s’écouler un liquide jaunâtre, du pus qui se répand sur le parquet, qui colle aux pieds. Le vent souffle en tempête. Tout à coup, un volet est arraché. Tu voudrais appeler au secours, tu ouvres la bouche, tu n’as plus de voix, plus un son, ta langue est sèche comme du verre pilé.
Tu te réveilles, couverte de sueur.
Ça va aller, ça va aller.
Mens sana in corpore sano.”

Des scènes "délirantes", j’ai bien aimé par exemple la réception affublée de sa robe jaune canari, et son téléphone orange gros format année 70 qu’elle fourre dans un sac plastique :

Page 79 : oh là là ! Un peu plus et tu marchais dessus ! Un magnifique téléphone orange, tout droit sorti des années soixante-dix, trône au milieu du trottoir. “ Allo ! Ah chéri, c’est toi , on avait coupé” Orange. Parfaitement assorti à ta robe. C’est un signe du destin. ils vont t’appeler, c’est sûr, ils vont te dire : La voix humaine, c’est vous et tu auras déjà ton accessoire et ton costume. Orange et canari. Les couleurs de la réussite. Il ne rentre pas dans mon mini-sac à main, mais par question de courir le risque de le laisser là jusqu’à ton retour, à la portée du premier venu, à la merci des éboueurs, tu trouveras un sac plastique en chemin. [..] Tu n’es plus qu’un rebut au pied d’une poubelle, un parasol rongé par les souris, un pot de fleur ébréché, une encombrante aux encombrants. Tu farfouilles dans ton sac et soudain tu décroches ton téléphone orange, tu porte le combiné à ton oreille et très fort comme si la communication passait mal, tu t’entends dire : Allo ? Oui je suis à Garnier, le spectacle était sublime, tu veux parler à la Reine de la Nuit ? Ne quitte pas, je te la passe. C’est le directeur de cabinet Machin chose, un cousin, il voudrait vous féliciter personnellement . Tu lui tends l’appareil, elle est à deux doigts de le prendre. Tu t’entends chuchoter, la main sur le combiné : c’est mon portable, comme je n’arrêtais pas de le perdre au fond de mon sac, j’ai opté pour un modèle king size. Elle ne sait plus sur quel pied danser, tout à coup elle tangue, la cocotte, plumes en berne, finis les grands airs supérieurs, regard figé, lèvres tremblantes, on dirait une petite fille perdue dans une forêt. Au dernier moment elle se ravise dans un rire suraigu, la bonne blague !

C’est ainsi tout le long du roman, des épisodes saugrenus, parfois effrayants, décalés,  tantôt drôles ou émouvants, des catastrophes en chaîne. Toutefois on ressent sa douleur et sa force de rester malgré tout à la surface, s’occupant de sa petite fille, ces petites accroches de la vie de tous les jours lui permettant de ne pas se jeter par la fenêtre. C’est une double sensation de ressentir cette souffrance à vive, et sa volonté de survivre. On la sent si seule dans cette douleur et son délire, tentant de se rapprocher de son sous-locataire mais en vain, car la paranoïa ne peut que lui faire barrage.

Ce n’est pas qu’une histoire de folie, mais aussi celle une vie qui bascule du jour au lendemain, quand le chômage, la solitude, le désœuvrement vous atteignent  vous faisant basculer vers un monde totalement imprévisible.

Tout un monde qui s’invite chez elle mais moi je vous invite à réécouter l’émission avec l’auteure c’est ici intéressant  elle parle de son roman, de sa conception ...

Un roman tout à fait réussi, original qui sort des sentiers battus et rerebattus, pour un premier roman je dois dire que je suis tout à fait conquise par cette originalité.

Un grand merci à la librairie dialogues et le club des lecteurs Club de Lecteurs ... Dialogues croisés

et aux éditions P.O.L

Ce n'est pas forcément le récit qui est déroutant et extraordinaire mais plus encore l'art et la manière de nous y emmener, un réel coup de maître.

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Commentaires
P
@ yv, ah oui on m'a fait la remarque aussi, et moi-même j'ai croisé plusieurs billet sur ce roman au même titre, quand à dire lequel des deux est mieux, pour cela il faudrait les lire , l'autre ne m'attire pas plus que ça <br /> je l'ai eu au club des lecteurs, tu peux toujours le demander, il se lit vite
Y
C'est drôle, je viens de lire un livre qui porte le même titre, mais d'une autre auteure (De Broc Nathalie) et qui a l'air moins bon.
P
à l'or, ma fois chacun son style, mais ce n'est pas tant la folie qui est intéressant, mais aussi la structure, l'architecture, le style ... un ensemble qui fait que;;. <br /> bises à toi aussi et bon week end
L
Euh, non, je passe... J'ai toujours eu beaucoup de mal avec les histoires de folie... Déjà, rien que le livre d'Emmanuelle Urien, c'était de trop ("tu devrais voir quelqu'un") Et les extraits ne me parlent pas du tout... Bon, la bonne nouvelle c'est que ma PAL dit ouf...<br /> Je t'embrasse et te souhaite un bon week end !!!
P
@ clara, tu as raison, c'est une histoire et un livre étrangement intéressant, pour le livre voyageur, c'est noté, je le laisse en repos chez Griotte le temps de ... si quelqu'un le veut avant toi et puis il ira jusqu'à toi en décembre...
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